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La poésie comme lieu de liberté : entretien avec Laurence Veilleux
Par Caroline Gauvin-Dubé
Au printemps 2019 paraissait, chez Poètes de brousse, le troisième recueil de poésie de Laurence Veilleux : Elle des chambres. Ici, à la Librairie Boutique Vénus, nous étions particulièrement fébriles, fières et heureuses de recevoir les boîtes contenant les livres tout neufs de l’autrice. C’est que, comme nos fidèles clients le savent déjà, Laurence est aussi l’une de nos libraires et nous avons la chance, aujourd’hui, de plonger dans son univers et son processus de création.
La poésie, porte d’entrée du sensible
Elle des chambres aborde les thèmes du viol et de l’inceste. Pour Laurence, la poésie semblait le médium tout désigné pour explorer ces thèmes avec sensibilité :
« Je voulais que chaque personne ayant côtoyé ces thèmes puisse se reconnaître un peu, se raconter à travers un “je” que j’ai fait pluriel. Ce n’était pas l’exactitude des souvenirs qui m’intéressait, mais bien les traces qu’ils laissent sur un corps.
Il me semble que la poésie donne accès au sensible. Elle va dans la précision du corps, des sensations, et ses images résonnent de manière différente pour chacune et chacun de nous. Les silences et les blancs du poème sont des espaces que la lectrice ou le lecteur peut remplir de ses propres impressions.
Enfin, il me semble qu’on est libre lorsqu’on lit un poème et que cette liberté est précieuse. »
Trouver comment raconter
On sent un cheminement dans l’écriture de la poétesse. Une plus grande maturité, mais surtout une entrée plus profonde dans l’intimité par rapport à ses deux premiers recueils. Le processus d’écriture a notamment été plus long, trois années séparant la parution d’Amélia (2016) de celle d’Elle des chambres (2019). Il était important, pour ce recueil en particulier, de trouver la bonne façon de raconter :
« J’avais donné grand de place à mes intuitions dans le processus créateur de Chasse aux corneilles et d’Amélia. Je me permettais de découvrir à mesure le fil de mes récits alors qu’avant d’en entamer l’écriture, le projet d’Elle des chambres était clair pour moi. Je voulais écrire ce livre depuis longtemps. Je savais très précisément quelles étaient mes intentions. Bref, je savais quoi raconter, mais j’ai cherché longtemps comment le raconter. C’est en accumulant les lectures, l’écoute de témoignages et l’écriture d’un journal que j’ai trouvé. »
Dans les pas d’Émile Nelligan…
Et ce travail a transparu dans la plume. Ce recueil en est un de lumière, de déchirements, de beauté. En mai 2020, un an après sa parution, Laurence remporte pour Elle des chambres le prestigieux Prix Émile-Nelligan qui récompense chaque année un poète de moins de 35 ans. Sélectionné parmi 36 ouvrages, le recueil de Laurence brille par sa justesse, son honnêteté, son humanité. Quelques mois plus tard, elle reçoit le Prix CoPo des lycéens, que l’on pourrait comparer à un équivalent français du prix littéraire des collégiens. Pour Laurence, la reconnaissance de ces différents publics signifie « la joie d’être lue et l’espérance d’une suite ».
Une voix pour les femmes
Suite que nous attendons tous avec grand bonheur. Laurence ne se permet pas de parler de ses projets d’écriture en gestation, mais nous pouvons, en attendant ses nouveaux vers, découvrir une nouvelle facette de son écriture dans le collectif de nouvelles d’horreur D’autres mondes paru aux éditions Québec Amérique en septembre dernier. On y retrouve sa nouvelle « du visage » au côté des textes de 14 autrices : « Ni tout à fait prose ni tout à fait poésie, j’explore la noirceur de la solitude et du silence des femmes. »
En parallèle de ses projets d’écriture, Laurence poursuit des études à la maîtrise en recherche-création sous la direction de Kateri Lemmens : « Je me penche actuellement sur la question de la sorcellerie en littérature québécoise ».
Tous ses projets convergent donc vers un but commun : redonner voix aux femmes.
Quelques suggestions de lecture
Finalement, après avoir parlé à la poétesse en elle, pourquoi ne pas parler à la libraire ? Aux lecteurs et lectrices qui ont aimé la poésie de Laurence ou qui souhaitent découvrir les auteurs dont le travail l’a inspirée, voici ce qu’elle vous suggère :
« Le premier recueil de poésie de Gabrielle Roberge, Le mouvement des couleuvres, en librairie depuis le 23 septembre dernier, est d’une beauté rare. On découvre la forêt avec le regard bienfaisant et un peu sorcier de la poète. L’attention qu’elle porte au monde, à la nature et l’enfance, est vive et chaleureuse. Ce livre fait du bien.
Les cendres bleues, de Jean-Paul Daoust, publié aux Éditions des Forges en 1990. Un recueil de poésie grandiose qui se lit d’une traite. La confession d’un enfant et de sa relation avec un homme.
Corps d’atelier, de Geneviève Amyot, publié la même année que Les cendres bleues aux Éditions du Noroît. C’est une poète qu’il faut sortir de l’ombre. Pour son approche du corps et de la mort, pour l’indocilité de ses textes.
Les fous de Bassan d’Anne Hébert. Et tout d’Anne Hébert, tant qu’à y être. Pour sa maîtrise du roman poétique, la violence magnifique qui se dégage de ses œuvres qui vont au fond des désirs humains.»
Finalement, j’aimerais vous laisser sur mon poème coup de cœur d’Elle des chambres :
«Ce qu’il me reste de nuits
campée
au bord des fenêtres
à chercher
quel maudit chant m’offrir
pour voir le bout
de mon propre cœur et l’apaiser.»
Laurence Veilleux, Elle des chambres, Montréal, Poètes de brousse, 2019, p. 81.
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